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Les studios Eclair à Epinay-sur-Seine font leur cinéma


Studio Eclair - EpinayLa Société française des Films l’Eclair a été fondée en 1907 par Charles Jourjon (1876-1934) et Ambroise-François Parnaland, un inventeur et un fabricant de films et d’appareils cinématographiques. Dès sa création, il y a un peu plus d’un siècle, la société s’établit à Epinay-sur-Seine. Elle participe à l’épopée des débuts de l’industrie cinématographique en France et se hisse, en moins de cinq ans, à la troisième place du cinéma mondial, derrière Pathé et Gaumont.

Des séries policières et comiques et les actualités filmées de la semaine

« Nous avons l’intention d’élever un théâtre vitré modèle. Notre usine, qui ne fera ni bruit, ni fumée, ni odeur, n’occupera qu’un très petit nombre d’ouvriers. C’est une industrie de luxe et d’art », écrit Charles Jourjon au maire d’Epinay en 1907. Effectivement, Charles Jourjon fait l’acquisition, avenue d’Enghien à Epinay-sur-Seine, d’une maison de maître du XVIIIe siècle qui n’est autre que l’ancienne propriété de Lacepède (1756-1825), le renommé zoologiste et homme politique français. Son parc de quatre hectares parsemé d’essences rares, le ru d’Enghien qui le traverse et sa presqu’île, servent de décor naturel aux premières réalisations cinématographiques. Puis, un studio et un atelier de décor y sont construits. Dès le début de l’aventure, les anciens communs abritent les laboratoires où s’effectuent la fabrication et le tirage de films en celluloïd. Puis, en 1908, une réserve d’accessoires, un magasin de costumes et une salle de projection sont installés au premier étage de ce bâtiment. En 1911, une usine et un transformateur électrique sont construits sur le site. Désormais, les tournages ne sont plus tributaires de la météo et peuvent se faire en intérieur, à la lumière des lampes à arc. Enfin, le site est doté d’un bassin destiné au tournage de scènes fluviales. La société recrute Victorien Jasset (1862-1913), metteur en scène au cirque de l’Hippodrome, pour devenir le réalisateur et le directeur technique de la société. Les activités d’Eclair s’orientent, dans un premier temps, vers la production de feuilletons policiers, très en vogue à l’époque, tels que Nick Carter (1908) ou Zigomar (1911-1913), un répertoire comique avec les épisodes de Gontran (à partir de 1910) ou Pétronille (1912-1914) dont les Spinassiens y jouent parfois les figurants, et des documentaires comme la série Scientia (1911-1914). En 1912, Eclair inaugure une « revue des actualités de la semaine du monde entier » connue sous le titre Eclair-Journal.

Un second site est ouvert rue du Mont

En 1913, Joseph Menchen, un producteur de cinéma autrichien, loue une propriété de 20 000 mètres carrés au 10 rue du Mont, la « Villa Saint-Joseph » afin d’y installer, lui aussi, un studio de cinéma. La Villa Saint-Joseph est une ancienne maison de retraite jésuite, ouverte en 1895. Située au sommet du coteau qui domine la Seine, son parc, ponctué d’allées et de terrasses, descend jusqu’au chemin de halage longeant le fleuve. L’ancien réfectoire des Jésuites n’existe plus. En revanche, les remises et les écuries de l’ancienne propriété qu’ils avaient surélevées pour y aménager des chambres pour les retraitants, ainsi que l’ancienne orangerie qu’ils avaient transformée d’un côté en chapelle, de l’autre en promenoir, existent toujours. C’est à la suite de la loi de 1901 sur les congrégations que la maison de retraite des Jésuites est mise sous séquestre et vendue en 1909. C’est cette propriété que Joseph Menchen loue à partir de 1913. Il en confie la direction artistique au dramaturge Michel Carré. Un an plus tard, au début de la guerre, Munch quitte la France et Charles Jourjon récupère le bail du studio agrémenté d’une promesse de vente. Il s’agit du site actuel des laboratoires Eclair.

Un outil performant permettant de suivre toute la chaîne de production d’un film

En plus de sa production cinématographique, Eclair effectue le traitement photochimique de ses films et la fabrication de caméras. En effet, la société fournit en copies les exploitants français mais aussi les agences qu’elle ouvre à Bruxelles, Milan, Londres et Moscou entre 1909 et 1911. Avec l’automatisation du développement et la mécanisation du coloriage, de nouveaux ateliers sont construits en 1913. Accolés aux anciens communs de la propriété des Jésuites, ils sont édifiés selon la typologie des bâtiments industriels de l’époque : halles en métal ou en bois, hourdies de briques. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les difficultés financières et la concurrence américaine obligent Eclair à une rétrocession à la Société Industrielle Cinématographique (S.I.C.). Les fondateurs de cette dernière, Serge Sandberg et Louis Aubert, modifient les stratégies de l’entreprise. Éclair abandonne la production directe de films au profit du développement de la branche laboratoire (Eclair-Tirage), de la fabrication de caméras (Caméréclair) et de la mise en location des studios pour les producteurs indépendants (Eclair-Studios). Ces nouvelles orientations se répercutent sur l’organisation du site.

En 1929, l’ancienne Villa Saint-Joseph est louée à la Société anonyme des films sonores Tobis qui en deviendra propriétaire quelque temps après. Elle transforme le bâtiment et en fait le premier studio sonore français. René Clair y tourne Sous les toits de Paris, en 1929, Le million, en 1931 et À nous la liberté en 1933. Simultanément, Eclair accroît ses capacités de stockage de films qui passent de 15 000 à 82 000 kg. Pour assurer le dépôt des pellicules, six bâtiments en béton et brique, de dix mètres sur cinq, sont construits sur l’autre rive du cours d’eau traversant le parc Lacepède afin de les isoler de l’usine en cas d’incendie. Tobis réalise des travaux similaires sur le site de la rue du Mont.

À la suite du décès de Charles Jourjon, en 1934, Jacques Mathot est nommé à la direction d’Eclair. Il réalise d’importantes rénovations des laboratoires et des studios et rachète le site de la Tobis en 1938 (le site actuel). Désormais, Eclair dispose d’un outil performant permettant aux réalisateurs de suivre sur place toute la chaîne de production d’un film, du tournage jusqu’au tirage des copies. Près de 300 personnes « s’activent à faire fonctionner cette usine à rêves » dont une part importante de techniciens : menuisiers, serruriers, staffeurs, électriciens et machinistes. Jacques Mathot contribue au perfectionnement des activités techniques. Le réaménagement du site Lacepède, en 1955, permet d’augmenter encore les capacités des laboratoires et de s’adapter au traitement des nouvelles pellicules couleurs tandis que de nouveaux studios sont construits rue du Mont. La construction, entre autres, en 1961, du plateau F, à la forme trapézoïdale, permet la reconstitution de rues avec carrefour, voire d’un quartier entier. Il est constitué d’une structure métallique entourée d’une coque de parpaings enduits de ciments. Dans ce studio, unique en Europe, tout est conçu afin d’abaisser au maximum le niveau sonore provenant de l’extérieur comme de l’intérieur.

Le cinéma du XXIe siècle en Seine-Saint-Denis

Avec l’arrivée de la « Nouvelle vague », dans les années soixante, et la consécration de la télévision, le cinéma subit de profonds bouleversements. Les avancées technologiques font craindre le pire pour le cinématographe qui va, de moins en moins, être le lieu privilégié de l’image animée. C’est dans ce contexte peu favorable que la famille Dormoy prend la tête de l’entreprise Eclair, en 1971. Les lieux de tournage sont alors regroupés rue du Mont tandis que l’entreprise Eclair est l’un des tout premiers laboratoires au monde à utiliser le numérique, demeurant ainsi à la pointe de la technologie. Depuis une trentaine d’années, soutenus par un plan de sauvegarde et de restauration, associant le secteur public (Archives françaises du film) et le secteur privé (laboratoires et sociétés de production), les laboratoires Eclair ont restauré des dizaines de films classiques dans leur département numérique. Pour ne citer que deux exemples parmi les plus connus : Les parapluies de Cherbourg réalisé en 1963 par Jacques Demy ou L’armée des ombres de Jean-Pierre Melville (en 1969) ont subi une cure de jeunesse à Epinay en 1992 pour le premier et en 2004 pour le second.

Depuis juillet 2009, le groupe Eclair a cédé le site historique d’Epinay au groupe TSF (location de caméras, de lumières, etc.). Les quatre studios de la rue du Mont sont désormais exploités sous le nom de « Studios d’Epinay ». Cette évolution correspond à la concentration des prestataires dans le marché français de la location de plateaux de tournage en Seine-Saint-Denis. Cette concentration est déjà perceptible sur le site des EMGP de la Plaine-Saint-Denis ou du nouveau quartier du Landy et l'est d'avantage encore avec la création de la Cité du cinéma de Luc Besson inaugurée en septembre 2012. Elle est aussi le reflet de l’évolution du département dans ce domaine.

De Georges Méliès aux studios et laboratoires Eclair, en passant par Emile Raynaud et les premiers studios Pathé, l'histoire de la Seine Saint-Denis est effectivement liée à celle du cinéma et du spectacle animé. Aujourd'hui, ce sont plus de 700 entreprises qui travaillent dans les domaines de l’image, de l’audiovisuel et du multimédia, représentant  près de 10 000 emplois en Seine-Saint-Denis, concentrés sur trois pôles majeurs :

  1.  le pôle audiovisuel du Nord Ouest autour des 5 villes de Saint-Denis, Saint-Ouen, Epinay, Aubervilliers et Stains  qui est devenu le deuxième pôle francilien pour la production audiovisuelle et les industries techniques liées au tournage de films.
     
  2. le pôle multimédia de Montreuil : à partir de traditions fortes liées aux arts graphiques, de nombreuses entreprises du secteur de l’image et de multimédia se sont installées dans le faubourg du bas-Montreuil : créateur de logiciels de jeux, de CD roms, réalisateurs de vidéo, producteurs de films, décorateurs, regroupés pour un certain nombre dans le réseau d'entreprises Deltarès (SPL).
     
  3. le pôle de Marne-la-Vallée : au carrefour de 3 départements, la Seine-Saint-Denis, le Val-de-Marne et la Seine-et-Marne, où l’on trouve une concentration de grands établissements de formation, de recherche et d’ innovation autour des métiers de l’image : de l’INA à Bry-sur-Marne, en passant par l’école Louis Lumière à Noisy-le-Grand et la Cité Descartes à champs-sur-Marne qui accueille de nombreux centres de formation.
     

À côté d'entreprises de renom telles qu'Ubisoft et Walt Disney à Montreuil, AB Production et Dubbings Brothers à Saint-Denis, studio Dubois et Gédéon à Saint-Ouen, Ciné Lumière de Paris et Européenne de doublage à Epinay, Carrère Productions à Aubervilliers, une multitude de petits producteurs et intermittents du spectacle sont attirés par le département. Une nouvelle approche de la Seine Saint-Denis se dessine autour d'entreprises liées à l’image, tout aussi dynamiques que créatrices.

De nombreuses entreprises offrent leurs savoir-faire autour des activités de tournage : décor, costumes, éclairage, prise de vue ou encore doublage. Des studios destinés au cinéma, aux films publicitaires, aux films de télévision, aux effets spéciaux ou aux films d’animation se sont installés à Aubervilliers, à Saint-Denis, à Stains… Parmi eux, les studios du Groupe Image à Aubervilliers, les studios Sets à Stains ou le Studio Carnitoons à Montreuil.

Studio de création et de production de films d’animation depuis une dizaine d’années, le Studio Carnitoons, à Montreuil, s'est diversifié dans les domaines de la vidéo, du clip et de la publicité, puis d'Internet.
Les studios du Groupe Image à Aubervilliers sont destinés au cinéma, aux films publicitaires et aux films de télévision. Ils comprennent trois plateaux, des ateliers, des salles de production, de post-production et proposent toute la gamme des prestations numériques. C’est là, notamment qu’a été tourné le film de François Ozon Huit femmes.

Les studios SETS à Stains sont construits sur un site de 8000 m2. On y trouve quatre plateaux et trois ateliers équipés. Une équipe régie assure la gestion des équipements techniques.
Tous ensemble, plus d’un siècle après Méliès, en 1897, Pathé, en 1904, tous les deux à Montreuil ou les Studios Eclair, en 1907, à Epinay, confortent la tradition d’un cinéma bien vivant en Seine-Saint-Denis.

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