Architecte et photographe, Patrick Bezzolato arpente Paris depuis plus de trente ans. Très attaché au 19e arrondissement de Paris, Patrick se passionne pour l'Est parisien, en particulier pour son histoire industrielle et ouvrière.
Bonjour Patrick, pouvez-vous nous présenter votre parcours et ce qui vous a poussé à animer des visites guidées ?
C'est indéniablement le désir de transmettre ! Le Grand Paris, qui accapare actuellement toutes les attentions et nourrit bien des projets, est mon territoire d’exploration depuis très longtemps – à une époque où on en faisait encore peu de cas. C’était une démarche pionnière, avant qu’un nouveau cycle urbain ne transforme Paris : l’Est de la capitale, de Bercy à la Villette, s'est étendu aux communes riveraines dont l’histoire est intimement liée à la capitale, aux bourgs agricoles dont les traces sont encore décelables aujourd’hui, aux activités artisanales et industrielles jusqu’aux transformations de l’après-guerre.
Ma démarche ne s'est pas limitée pas à la photographie. Loin des récits du moment, j'ai aussi découvert – en tant que sociologue amateur –, toute une histoire humaine, une part essentielle de notre identité et de notre mémoire bien avant que leur reconnaissance ne soit acquise. En plus de mes déambulations, mes prises vues et mes rencontres, j’ai doublé mon plaisir avec des lectures plus savantes pour y ajouter l’éclairage de l’historien et de l’architecte. Faire comprendre le pourquoi des choses, le supplément d’âme des sites que ne saurait véhiculer le seul fait de leur existence en tant qu’objets muets et inertes.
En 2010, pour le 150e anniversaire de l'extension de Paris par annexion des communes limitrophes, une mission m’a été confiée sur mon territoire de prédilection : les "villages industrialisés" et leurs grands bouleversements du 19e siècle à nos jours. J’ai pu transformer mes divers travaux en un dossier plus scientifique, sur le 19e arrondissement de Paris, dont j’anime le conservatoire historique, et les communes riveraines que sont Pantin et Aubervilliers. Le partenariat avec Seine-Saint-Denis Tourisme et ExploreParis.com est venu naturellement suite à ces travaux.
Sur ExploreParis.com, vous proposez des visites de sites emblématiques du passé industriel de l’Est parisien : l’Orfèvrerie, le canal de l’Ourcq, le parc de la Villette... Pourquoi ce choix ? Que racontent ces sites ? Et quelles sont vos envies pour la suite de votre collaboration avec ExploreParis.com ?
Ces sites et ce patrimoine étaient pendant longtemps ignorés, voire méprisés. N’oublions pas que le canal de l’Ourcq et le canal Saint-Martin ont failli disparaître sous une autoroute. Même si l’image de ce patrimoine est en train de changer positivement, notamment grâce à sa mise en valeur et en tourisme, mon but est aussi de faire dévisser les préjugés sur le 93 trop souvent présenté dans les médias avec ses agonies. Les ateliers et les usines sont plus proches de notre histoire, l’histoire des gens, que les grands gestes architecturaux décidés par nos édiles. Je sais qu’il n’est pas simple de reconvertir un site industriel. On ne peut tout garder mais il y a aujourd’hui une réflexion sur une composition urbaine prenant en compte ce patrimoine. Le parc de la Villette avec la Grande Halle est un bel exemple, tout comme les Grands Moulins de Pantin, et Christofle dans un proche avenir.
Si cette démarche patrimoniale avait eu lieu plus tôt, le territoire urbain serait plus harmonieux en intégrant des fonctions contemporaines.
Pour les projets à venir, il y a l’usine Babcock à la Courneuve et, dans l’immédiat, le bicentenaire du canal Saint-Denis. Cette voie d’eau qui relie la Seine à l’ancien port de la Villette possède encore de beaux exemples de l’ère industrielle. C’est un canal en devenir dont les berges seront réaménagées avec une réflexion plus poussée que le traitement du canal de l’Ourcq parisien, certes réenchanté mais trop réduit à une entité touristique et résidentielle.
Quand aux visites virtuelles, il faut remanier la formule. Comme j’essaie de faire des visites bien vivantes avec des intervenants, il m’est difficile de toutes les transposer. C’est néanmoins une demande qui continuera après la crise sanitaire, car il y a un public qui n’ose ou ne peut pas se rendre dans la capitale mais n’en est pas moins curieux de son histoire. Je pense notamment au Paris d’Haussmann, sur lequel je donne des conférences en salle avec bon nombre d’images documentaires. Ce sujet est souvent traité d’une manière réductrice, le baron ne fût qu'un exécutant – certes efficace, mais il y a eu également d’autres intervenants de génie, et bien des équipements qui dépassent l’aspect urbain et les tracés dont nous bénéficions encore aujourd’hui. Je développe aussi, et surtout, l’impact sur l’Est parisien.
Avez-vous une visite préférée ? une anecdote à partager avec nous ? des adresses, des bons plans, dont on pourra profiter une fois la crise sanitaire passée ?
Il y a deux visites qui me tiennent particulièrement à c½ur :
• L’Orfèvrerie, ancienne usine Christofle
L'Orfèvrerie est l'un des rares sites industriels qui a gardé toute son unité. Mon commentaire ne se résume pas à un inventaire architectural ou une représentation de l’ancienne chaîne opératoire mais c’est une visite où l’on peut voir des métiers à l’½uvre car il est actuellement occupé par de nombreux artisans et créateurs. On y rencontre un fondeur, un bronzier, des ateliers de réutilisation des matériaux, etc. Des métiers anciens qui sont autant de métiers d’avenir, puis des activités manuelles plus contemporaines, ce qu’il convient de nommer « l’intelligence de la main ».
La plaine Saint-Denis, autrefois territoire d’usine avec tous ces savoir-faire qui exigeaient tant d’attention humaine, connaît à travers de nombreuses initiatives actuelles une continuité heureuse, même si ce n’est pas au sens de l’industrie lourde.
Ce site, inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques, sera réhabilité à moyen terme avec sans doute d’autres usages. C’est maintenant qu’il faut le découvrir, avec ses occupants actuels.
• Le quartier de Belleville
Visiter Belleville, c'est découvrir l’histoire du quartier le plus sonore du Paris populaire. J’y intègre les sources du Nord qui alimentaient, depuis le Moyen Age, les fontaines de la rive droite et surtout les cours intérieures, insoupçonnables depuis la rue, parfois difficiles d’accès. Grâce à un accord que j'ai avec certains copropriétaires je peux y emmener des visiteurs (à condition d’avoir un groupe mesuré). La ville derrière la ville, mon parcours en solitaire d’autrefois correspond à une forte demande du public d’aujourd’hui. Il y a des lieux enchanteurs... et on ne connaît jamais aussi bien une ville ou un quartier qu'en explorant ses coulisses.
Merci Patrick !