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Le patrimoine industriel de La Courneuve


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Dans le cadre du jeu De Visu 2012 consacré à l'industrie, nous avons rencontré Jean-Michel Roy dans les locaux administratifs de La Courneuve. Cela a été l'occasion de partager la vision et la connaissance de cet expert du patrimoine industriel, qui a accepté de nous accorder un entretien sur l'histoire industrielle de La Courneuve. Découvrez la retranscription de cet entretien.

Pouvez-vous nous présenter votre parcours et nous expliquer ce qui vous a conduit à vous spécialiser sur le thème du patrimoine de La Courneuve, en particulier le patrimoine industriel ?

Je suis historien de formation, j’ai fait une thèse de doctorat sur le commerce alimentaire et l’espace urbain. Je me suis beaucoup intéressé au territoire de la banlieue jusqu’au XIXe siècle et je suis plutôt un spécialiste de l’histoire économique et sociale en particulier ce qui concerne le monde rural. Lorsque, ensuite, j’ai été embauché à La Courneuve, je me suis naturellement intéressé aux particularités de cette ville, à tous les éléments qui ont fait son histoire et notamment son histoire industrielle.

La Courneuve a longtemps été un village rural, puis, sur une période de 70 ans, il y a eu une industrialisation progressive de la ville jusqu’à ce qu’elle devienne réellement une ville industrielle au moment de la première guerre mondiale. Elle produisait en effet du matériel lors du premier conflit mondial, principalement via le secteur de la métallurgie, en fabriquant des pièces pour des chars, des canons ou encore des obus. Le secteur de l’industrie chimique qui était également fortement implanté s’est quant à lui, reconverti dans la fabrication d’explosifs.

Pour autant, peut-on dire que l’industrialisation de La Courneuve soit fortement liée à la première guerre mondiale ?

Dans les années 1980, une équipe du CAUE et l'association Banlieue Nord ont réalisé l’inventaire du patrimoine industriel. Les résultats ont ainsi permis de constater que sur l’ensemble du patrimoine industriel identifié en 1986 sur la commune de La Courneuve, 80% était antérieur à la première guerre mondiale. La phase d’industrialisation qui s’est ensuite opérée durant l’entre deux guerres, a donc principalement permis un enrichissement du tissu industriel déjà en place.

Y a-t-il eu à La Courneuve, un secteur d’activité dominant ?

La première vague d’industrialisation qu’a connu la ville dès le milieu du XIXe siècle, concernait principalement des activités chimiques, représentées notamment par le traitement des déchets des abattoirs de La Villette et d'Aubervilliers ainsi que la petite chimie (production de toiles cirées, de chiffons, papeterie, boyauderie, fabrique de Noir de fumée, etc.). Les années 1880 ont ensuite été un tournant important, marqué par l’ouverture de la gare de chemin de fer, qui a permis l’installation d’entreprises travaillant le métal ou la métallurgie.

On peut penser par exemple à l’installation d’entreprises comme Sohier, qui fabriquait des serres, notamment les serres de l’exposition universelle. En 1898, l’entreprise Babcock, spécialisée dans la fabrication de chaudières, choisit également de s’installer à La Courneuve. En 1909, l’entreprise Garnier, qui fabriquait des turbines en fait de même, puis en 1917, Rateau choisit également de s’implanter à La Courneuve. La fabrication de moteurs, de matériel métallique voire de matériel roulant – avec Corpet-Louvet ou Moïse qui fabriquait des locomotives ou des locotracteurs – était donc fortement représentée sur le territoire.

Quelles entreprises ont selon vous, marqué l’histoire de la ville ?

La grande particularité de La Courneuve, en comparaison d'une ville comme Aubervilliers par exemple, réside vraiment dans l’installation de grandes entreprises, qui ont pu embaucher 3000 voire 4000 personnes. Parmi les plus grandes, Babcock et Wilcox constitue un exemple intéressant, puisque l’entreprise était quasiment considérée comme une ville dans la ville. Rateau fait également partie des entreprises incontournables de La Courneuve. L’entreprise existe toujours à son emplacement d’origine, mais s’appelle désormais Alstom.

Je pense aussi à l’usine Sohier, qui embauchait 400 ou 500 employés. Pour résumer, le tissu industriel de La Courneuve était principalement composé de grandes et moyennes entreprises. Deux ou trois très grandes entreprises à plusieurs milliers d’ouvriers ainsi que de nombreuses entreprises qui embauchaient plusieurs centaines d’ouvriers.

Par ailleurs, il est important aussi d’aborder la question du rayonnement des entreprises, qui pouvait atteindre l’échelle nationale, comme pour celui de l’usine Mecano, leader dans la fabrication de forets et de matériel de coupe, ou celui des meules Norton, installées également à La Courneuve pour fabriquer des papiers abrasifs. Certaines usines fabriquant de la colle étaient aussi très reconnues. Le rayonnement des entreprises pouvait aussi atteindre un rang international, comme ce fut le cas de la production de Babcock et Wilcox, leader mondial des chaudières. Aujourd’hui, ce patrimoine industriel est partout dans la ville.

La Courneuve est donc une ville qui, dans l’ensemble, a accueilli des entreprises dont l’emprise au sol était importante. Pour autant, y avait-il une place pour le petit artisanat dans la ville ?

Dans la ville, il y avait énormément de petites et moyennes entreprises. A ce titre, j’avais entrepris il y a quelques années le recensement de toutes les entreprises ayant existé dans la commune. C’est un travail titanesque. J’ai été contraint d’arrêter, vu la quantité de travail et de temps nécessaire, mais j’en étais déjà à plusieurs centaines de raisons sociales.

Certaines entreprises sont-elles parvenues à conserver leur secteur d’activité initial ?

Une des particularités de La Courneuve réside dans le fait que de très grosses entreprises ou raisons sociales sont restées très longtemps implantées sur la commune, ou du moins leur activité est restée. Je pense notamment à l’entreprise Sohier, qui s’est installée en 1887 et dont les locaux sont aujourd’hui encore,  utilisés dans le même secteur d’activité. Après s’être appelée Sohier, dans les années 1920 l’entreprise s’appelait Nord-Paris, puis Hardy Tortuau et aujourd’hui c’est KDI. Sur ce site d'une emprise de 6 ha, on travaille donc le métal depuis 130 ans.

En termes de reconversion, y a-t-il eu à La Courneuve des efforts spécifiques pour conserver à la fois l’histoire des sites mais également les bâtiments eux-mêmes, quel que soit l’usage qu’on a su leur attribuer ?

La question de la reconversion sur La Courneuve est d’actualité. La halle de l’ancienne usine Mecano, par exemple, va être transformée en médiathèque. Quelques usines, comme les ateliers de Corpet-Louvet qui couvraient un hectare et demi voire deux hectares, viennent d’être détruits pour laisser la place à un Data Center.

Toutefois, en ce qui concerne les reconversions, les grandes emprises industrielles, posent généralement des problèmes, du fait de leur volume. La nature des constructions peut également être un élément problématique. Aujourd’hui, que peut-on faire d’une halle cathédrale ? Une halle qui fait 20 mètres de haut, 30 à 40 mètres de large, qui servait à construire des réacteurs, des turbines d’usines thermiques, des centrales... C’est très difficile à reconvertir. La monumentalité peut nuire à la reconversion.

Mais, en même temps, la banque de France vient d’acheter le site de Babcock et propose une reconversion de ce site en partenariat avec la collectivité. Car, si La Courneuve a été un bassin d’emplois énorme, – plus de 20 000 ouvriers à certains moments (pas uniquement habitant à La Courneuve) – il y a encore aujourd’hui 13 000 travailleurs, qui viennent tous les jours exercer leur activité sur le territoire. La Courneuve est donc toujours une ville d’activités. Par ailleurs, il semblerait que le territoire commence véritablement à intéresser les investisseurs.

En quoi les reconversions intervenues sur le patrimoine industriel de La Courneuve présentent-elles des spécificités par rapport à d’autres communes du département ?

Très tôt à La Courneuve, des zones industrielles, offrant la possibilité aux entreprises de s'installer ont été définies. Des quartiers entièrement composés de champs sont ainsi devenus des emprises industrielles, encadrées administrativement par un plan d’embellissement de la ville, puis par un POS (Plan d’Occupation des Sols). Ces zones ont été fixées et déterminées, c’est pourquoi on n’y retrouve pas ou très peu de logements. Cela a été clairement défini : on a des zones dédiées à l’industrie, d’autres accueillant des ensembles de grands logements et d’autres encore consacrées au logement pavillonnaire.

En comparaison, j’ai habité longtemps Montreuil, dans le Bas-Montreuil, en limite de Fontenay-sous-bois. La configuration y est totalement différente. Les entreprises industrielles s’insèrent dans le tissu urbain. Elles sont pleinement intégrées. Vous retrouvez des hangars d’activités industrielle au milieu de zones pavillonnaires. Cela peut poser des problèmes de bruit, de stationnement ou encore d’horaire avec certaines entreprises qui travaillent la nuit. À côté de chez moi par exemple, on fabriquait des boulons la nuit. Le bruit n’était pas toujours facile à accepter mais en même temps, il y avait énormément de petits ateliers donc de petits artisans, qui disposaient de leur pavillon sur rue, et de leur hangar en fond de cour… Par conséquent, dans une ville comme Montreuil, la désindustrialisation n’a pas du tout été ressentie de la même manière.

Quand vous avez une entreprise comme Babcock qui ferme ses portes ou qui est victime d’un plan social, cela impacte énormément la ville, le tissu urbain. C’est comme cela d’ailleurs que la ville de La Courneuve s’est clairement engagée aux côté des syndicats pour défendre l’emploi face aux fermetures et aux délocalisations. Une preuve supplémentaire que La Courneuve est vraiment une ville industrielle. Sans industrie, il ne reste pas grand chose. Ce n’est pas une villégiature, un lieu où l’on vient se promener, c’est clairement une ville d’activité. Il y a une carte postale du début du XXe siècle qui disait "La Courneuve, une ville trépidante dont le seul intérêt est sa proximité de Paris". Je trouve que c’est assez visionnaire comme remarque.

Pour revenir rapidement sur les logiques d’implantation, il est important de préciser que, dès le milieu du XIXe siècle, les entreprises quittent Paris pour s’installer dans les communes de la proche banlieue. Toutefois, ils continuent généralement à habiter dans les quartiers ouvriers populaires de Paris même si les usines sont installées au Pré-Saint-Gervais, à Pantin ou à Aubervilliers par exemple.

Les entrepreneurs décident par la suite de faire un saut et de s’installer sur des terrains disponibles de La Courneuve, parce qu’il y a un embranchement des chemins de fer industriels ainsi que des emprises suffisamment vastes pour envisager les développements futurs. C’est d’ailleurs assez surprenant lorsque l’on regarde les premières photos aériennes, de voir que pour l’entreprise Norton par exemple, les responsables ont acheté un terrain dix fois plus grand que l’usine qu’ils voulaient y construire. Ils prévoyaient déjà d’éventuels agrandissements. Les terrains étaient d’ailleurs loués en jardins-ouvriers.

Merci à Jean-Michel Roy pour nous avoir apporté toutes ces informations sur le développement industriel de La Courneuve.

Lisez également l'article de Jean-Michel Roy sur le quartier de Carrefour des quatre routes à La Courneuve et l'article sur La Courneuve et la Première Guerre mondiale. Découvrez que voir à La Courneuve.

Vous pouvez faire des visites sur le terrain en vous inscrivant et aux balades et promenades urbaines en région parisienne.

Vendredi 01 Juin 2012 - 16:45

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