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Note de problématique sur le tourisme de mémoire


Valorisation et mise en réseau des lieux de mémoire de l'internement et de la déportation en Seine-Saint-Denis

La guerre 39-45 a laissé, avec 55 millions de morts et majoritairement des civils, des traces matérielles et psychiques sur un immense territoire. Le conflit terminé, les sites où se sont déroulés ses événements dramatiques ont pris une importance particulière aux yeux des survivants et de leurs proches, et jouent notamment un rôle dans leur travail de deuil.

Les morts ont une matérialité plus ou moins identifiable (du squelette bien conservé à la cendre éparpillée) et sont localisés quelque part. Et ce quelque part représente un enjeu fondamental dans la plupart des sociétés, quel que soit le rituel adopté1.

Ensuite, qu’ils aient été ou non des lieux de mise à mort, ils sont aussi nécessaires au travail de mémoire. Toutefois, la mémoire est sélective. Elle est sujette aux déformations les plus diverses, qu’elles soient d’ordre psychologique, idéologique ou politique.

(toute commémoration) est une préférence, [...] toute commémoration est un rejet dans l’oubli d’autres choses, d’autres événements, d’autres personnes qu’on aurait pu commémorer ce même jour2.

Aujourd’hui, la force et la représentativité des lieux de mémoire sont le résultat de ces investissements et de ces usages mémoriels, sujets à de nombreuses évolutions et inflexions. L’État est le premier porteur de la mémoire : on parle alors de mémoire officielle. Certains lieux sont dès lors institutionnalisés et érigés au rang de symboles nécessaires à la reconstruction de l’unité nationale traumatisée par l’expérience de l’Occupation et du régime de Vichy : Oradour-sur-Glane devait jouer ce rôle, mais l’amnistie des Alsaciens enrôlés de force dans l’armée allemande et qui avaient participé au massacre l’empêcha. Le Mont-Valérien ou le camp de Natzweiler-Struthof sont le résultat de la volonté du général de Gaulle, en 1945 puis lors de son retour au pouvoir en 1958.

Mais un événement continue donc aussi de vivre dans les souvenirs des familles et des groupes concernés par celui-ci, comme les résistants ou les déportés : on parle alors de mémoire de groupes. La fonction de la mémoire officielle est d’essayer de donner une unité à cet ensemble hétérogène formé de différentes mémoires de groupes. L’alchimie, réussie ou non, entre la mémoire officielle et les mémoires de groupes, fonde une mémoire collective, ou une "mémoire sociale", des événements. C’est un troisième type de mémoire. Sa force varie. Dans certains cas, la mémoire collective est tellement importante qu’elle structure les discours de la majorité de la société. On va alors jusqu’à parler d’un "devoir de mémoire".

Jusque dans les années 1980, la figure du résistant victime de la répression fut centrale dans la construction du récit national. Il subsiste d’ailleurs aujourd’hui dans une quarantaine de grandes et moyennes villes françaises un musée de la Résistance et de la Déportation, sans compter ceux qui se dénomment mémoriaux ou sont spécifiquement dédiés à une personnalité ou à un maquis local (plusieurs dizaines également)3.

Puis, à partir des années 1980, une "nouvelle référence mémorielle s’est imposée4" : celle des victimes de la persécution raciale, plaçant la Shoah au c½ur des discours sur la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, à l’échelle nationale, plusieurs institutions importantes traitent spécifiquement de ce thème et sont ouvertes au public : le mémorial de la Shoah, rue Geoffroy l’Asnier à Paris, la maison des enfants d’Izieu dans l’Ain, ou le Centre d’Etude et de Recherche sur l’Internement des Camps du Loiret (c’est à dire Pithiviers et Beaune-la-Rolande) – le CERCIL – à Orléans. Avant de cerner la situation en Seine-Saint-Denis et les enjeux de l’étude proposée par le CDT, il est d’abord nécessaire de revenir sur quelques notions préalables.

1. Vincent VESCHAMBRE, « Faire mémoire des camps : trouver des traces et produire des mémoriaux », in Traces et mémoire urbaines, Rennes, PU, 2008.
2. Gérard NAMER, La commémoration en France de 1945 à nos jours, Paris, Editions L’Harmattan, 1987, p. 144.
3. Inventaire (non exhaustif) du Guide Petit Futé des lieux de mémoire, 2007.
4. Denis PESCHANSKI, La France des Camps. L’internement 1938-1946, Paris, Gallimard, 2002.


Extrait de l'étude "valorisation et mise en réseau des lieux de mémoire de l'internement et de la déportation en Seine-Seine-Denis", réalisée par  Topographie de  la mémoire (Anne Bourgon, Hermine de Saint-Albin et Thomas Fontaine).

Auteur : Anne Bourgon

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