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Les balbutiements du logement populaire au XIXe siècle


Le problème du logement des ouvriers n’est pas nouveau mais il faut attendre le XIXe siècle pour que commence réellement l’histoire du logement social. L'envol industriel du XIXe siècle jette dans les villes européennes une population rurale déracinée qui doit se loger elle-même. L’épidémie de choléra qui sévit dans toute l’Europe en 1832 touche de plein fouet les quartiers populaires et révèle la réalité des taudis. À cet égard, les médecins et les hygiénistes jouent un rôle essentiel en pointant du doigt la relation entre épidémies et taudis. En attendant, certains employeurs tentent d’aider leurs ouvriers en faisant construire des logements. Trois typologies de patrons constructeurs se dessinent tout au long du XIXe siècle : « les industriels soucieux de rentabilité », les patrons paternalistes ou bien encore les socialistes utopiques.

Les industriels soucieux de rentabilité : Un bon abri pour bien produire

Le grand souci des patrons du XIXe siècle demeure le profit et la manière d'utiliser au mieux l'outil indispensable, à savoir, la  main-d’œuvre. Il faut attirer et fixer cette main-d’œuvre d'origine rurale qui, le plus souvent, retourne au village au moment des travaux des champs. Pour lutter contre l'absentéisme saisonnier, le logement est un moyen sûr, voire définitif, par la dépendance qu'il engendre.

Plusieurs solutions sont envisagées par les industriels. La solution la plus utilisée est la concentration des ouvriers dans des bâtiments collectifs, appelés des "casernes", parce que la conception de ces bâtiments est d'inspiration militaire. Ainsi, les frères Schneider adoptent cette solution lorsqu'ils s’installent dans l'ancienne Manufacture royales du Creusot. Ils font construire, en 1845, deux casernes, l'une pour les mécaniciens, l'autre pour les mineurs. Cette typologie, est vite accusée de tous les maux et se voit qualifiée, en 1849, de "foyer d'immoralité" car les hommes et les femmes y sont mélangés.

Et, ce qui est vrai pour les filatures l’est aussi pour les exploitations de charbon. L'exploitation des ressources du sous-sol bouleverse, elle aussi, les conditions de vie locales. Elle saigne les cantons ruraux de leur population au profit des régions minières. Pour pouvoir loger leur main-d’œuvre, les compagnies construisent des corons. En les implantant tout près des gisements, les patrons pensent réduire au minimum la fatigue du trajet quotidien à leurs mineurs qui, ainsi, seront plus efficaces sur le carreau. Ces corons à l'habitat répétitif, constitués de maisons unifamiliales en bande, alignement continu de maisons de part et d'autre d'une rue, abriteront des générations de mineurs. Envers du décor : le logement est inscrit dans le contrat de travail et, si un ouvrier quitte son patron, il doit aussi quitter son logement impliquant ainsi une dépendance quasi totale de l'ouvrier envers le patron.

Nous trouvons de ces patrons philanthropes en Seine-Saint-Denis notamment à Pantin où deux ensembles de logements, aujourd’hui démolis, ont été construits par un entrepreneur. Le premier de ces deux ensembles se trouve dans le quartier de l’église, dans l’actuelle rue Théodore-Leducq. Les logements ouvriers de ce patron blanchisseur, Théodore-Leducq devenu la blanchisserie Elis, ont été édifiés au tout début du XXe siècle. Les « pavillons Leducq » constituaient un alignement en bande de cinq pavillons et tenaient à la fois de la typologie des corons miniers du nord de la France et de la cité-jardin anglaise. C’étaient de petits immeubles collectifs en brique dont la façade s’ornait de motifs géométriques en briques plus claires, chacune des façades ayant son décor personnalisé. Les immeubles du second ensemble, édifié vers 1910, étaient situés aux numéros 6, 7 et 9 de la rue du Général Compans. Ceux-là étaient au plus près de la blanchisserie, dans un îlot essentiellement dévolu à l’activité industrielle, entre le canal et les voies ferrées, adossés aux Grands Moulins de Pantin. En logeant ses ouvriers à cet endroit, Théodore Leducq profitait au maximum de la proximité du site de travail. Dès la conception de l’ensemble, il avait demandé à l’architecte parisien Randon de Grolier de regrouper dans le même édifice l’activité industrielle et le logement pour les ouvriers de sa blanchisserie.

Devoir social et bonne conscience pour les patrons paternalistes

Parallèlement aux industriels soucieux de l'efficacité de leur production se développe une réflexion paternaliste, celle du devoir social. Deux idées essentielles cimentent ce devoir social : les dangers potentiels pour la santé publique que sont les taudis insalubres des ouvriers et la montée des idées socialisantes qui mettent en péril la cohésion sociale. Pour maintenir la paix sociale, il faut éduquer la classe ouvrière sur tous les plans : moralité, hygiène et culture mais surtout le tenir éloigné du domaine politique. Le logement devient l’espace indispensable au développement harmonieux de la famille, et semble, aux yeux de tous, l'outil le plus approprié à cette lourde tâche éducative puisque la famille est le fondement de l'ordre social.

Parmi les premiers à s'engager dans cette voie, on trouve Frédéric Japy (les montres et les réveils). Protestant, influencé par ses habitudes de vie communautaire d'apprenti horloger, il décide qu’il doit loger avec ses employés dans sa Pendulerie de Beaucourt. Celle-ci qui a été détruite par un incendie en 1816, est reconstruite dans l’optique de loger à la fois la famille Japy et ses employés. Le bâtiment à étages regroupe une cuisine, une salle à manger et des chambres pour 50 ouvriers. Evidemment, la famille Japy ne dort pas dans les mêmes chambres que les ouvriers, mais… l’idée est là.

D’autres expériences du type de celle de Japy voient le jour à la même époque, en France et dans toute l’Europe comme, par exemple, la fameuse « Cité de Mulhouse » où près de 200 maisons individuelles en accession à la propriété sont construites en 1853 par un industriel pour ses salariés. Mais, l’accession à la propriété n’est pas une bonne idée car si l’industriel voit naître sous ses fenêtres des foyers d'opposition, il n'a aucune possibilité de reprendre à l'ouvrier renvoyé ou au meneur irréductible les droits ainsi acquis. Tandis que si la maison est louée, l’ouvrier récalcitrant peut être immédiatement expulsé.

C'est d’ailleurs l'opinion d'Émile-Justin Menier, le célèbre chocolatier, qui, en 1876, préfère louer les maisons de sa cité de Noisiel, près de Paris. Elles sont réservées aux couples qui travaillent dans sa chocolaterie. Pour les célibataires, il finance la construction de deux hôtels-cafés-restaurants sur la place centrale, où l'on trouve aussi une épicerie, une mercerie, une boucherie, un comptoir de quincaillerie et d'articles de ménage et ... la statue de Menier.

Les socialistes utopiques et l’habitat collectif

À côté des industriels paternalistes, ceux que l’on nommera les socialistes utopistes inventent un type d'habitat idéal. Au premier rang de ces socialistes utopiques, on trouve Robert Owen (1771-1858) pour la Grande-Bretagne, et Charles Fourier (1772-1837) pour la France. Entre les villages coopératifs de Robert Owen et le mode d'organisation sociétaire de Charles Fourier, les convergences sont nombreuses. Owen, propriétaire d'une filature en Écosse, imagine une sorte de cité utopique dont il proposera le modèle au monde entier.

Quant à Fourier, pour combattre l'ignorance et la pauvreté, il propose d'instaurer une espèce de socialisme communautaire. Il fonde une école de pensée qui aboutira à son fameux « phalanstère ». Mais, faute de moyens. Fourier ne réussira pas à le réaliser. Plusieurs tentatives sont effectuées dans la décennie qui suit sa mort mais échouent également.

Le familistère de Guise, que l'industriel Jean-Baptiste André Godin avait fait édifier pour les ouvriers de son usine. Classé monument historique de Picardie.Il faut attendre Jean-Baptiste Godin, fabriquant d'appareils de chauffage dans l'Aisne, pour que se réalise une expérience qui respecte au plus près les idées Fouriéristes. C’est le fameux « familistère de Guise », édifié en 1858 et destiné à ses ouvriers. Il finance donc la construction d'un habitat collectif doté de tous le confort moderne : eau courante à tous les étages, vide-ordures, WC à chasse d'eau, éclairage au gaz des escaliers et des cours intérieures. Les logements, distribués par des coursives, ouvrent sur de grandes cours couvertes d'une verrière et reliées entre elles par un réseau de galeries. La prise en charge des enfants y est assurée par la « nourricerie », puis par l'école primaire et enfin par le centre d'apprentissage. De nombreuses fêtes rythment la vie des habitants de cet univers, pourtant souvent qualifié de carcéral par ses détracteurs. Il faut dire que la discipline y est extrêmement sévère.

Du côté de l’Etat : un léger frémissement social

Parallèlement aux patrons bâtisseurs, le gouvernement pense que la question sociale est l’affaire du privé. Pourtant, Louis-Napoléon Bonaparte s’émeut quelque peu de la situation et fait du logement social un symbole du progrès de la lutte de la morale contre l’alcoolisme (on retrouve là, la même idée de moralisation des pauvres que préconisent les patrons paternalistes). Louis-Napoléon décide de faire construire douze maisons ouvrières à Paris, une par arrondissement. Pour ce faire, la Société des Cités ouvrières de Paris est créée en 1849. En fait, une seule de ces maisons ouvrières sera construite, celle de la rue Rochechouart (actuel 9e arrondissement). Livré en 1851, le phalanstère de la rue Rochechouart s’inspire des idées de Fourier. Construite autour d’une cour-jardin, elle offre 86 logements répartis sur 3 étages et auxquels on accède par de larges escaliers débouchant sur de véritables « rues-galeries », idée dont Le Corbusier s’inspirera un siècle plus tard.

A côté de cette petite volonté sociale de Louis-Napoléon Bonaparte, un homme politique, de tendance catholique social, le Vicomte Armand de Melun, fait voter en 1850, la toute première loi préconisant l’assainissement et l’interdiction des logements insalubres. Suite à cette loi, Louis-Napoléon fait attribuer des crédits pour l’amélioration du logement des ouvriers mais, pour autant, la tendance d’une intervention de l’Etat reste majoritaire. Le logement des plus pauvres demeure l’affaire du privé.

On voit donc que si la législation n’est pas encore en place, loin s’en faut, le XIXe siècle n’est pas insensible aux problèmes des taudis, même si les raisons sont diverses et loin d’être toujours désintéressées. Les idées, bonnes ou mauvaises, foisonnent et l’idée d’un logement spécifique aux classes populaires prend forme.

Petite histoire du logement social :


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